Paillettes de cendre planent de la clope au bec à la fenêtre, comme neige de printemps. Flocons d’une légèreté redoutable qui partent danser avec les milliards de particules fines qui infestent la ville. Oiseau sur ma branche en béton, j’observe le fourmillement au sol sans gazouiller. Des notes de violoncelle inondent les pièces, l’écho des pots d’échappement percés résonne de la rue.
Posée à une fenêtre, l’enduit de la façade qui se désagrège comme le sable fouetté par les vagues, j’aspire de ce petit carton un air plus chaud que l’hiver qui vient de finir. Des quartier s’effondrent, de sous les décombres, la rage nous engage. La gentrification m’étouffe dans l’angoisse d’un futur au karcher. Ou au canon à eau.

Avec mes lèvres je brandis une brindille allumée. Des feuilles et des pétales qui partent en fumée. Le long de la voie ferrée, bruyant canyon urbain, les pruneliers sauvages recouvrent de blanc la peinture des tags. Écailles éphémères de pistils secoués à intervalles réguliers par les TER.
Le mistral balaye les rues où encore des encombrants ressourcent les poubelles et une vie sans thunes. Habituée aux cassos de campagne, je retrouve un air frais de familiarité.
J’ai traversé quartiers et frontières pour que dans mon plateau à rouler se trouvent ce tabac importé et ces substituts végétaux, ersatz d’un temps auquel je ne veux plus succomber.
Trop peu perméables ces front qu’on voudrait qu’ils appartient à hier. Pendant que je demandais une stecca de cigarettes à Clavières et les skieurs descendaient les pistes, des ormes dans la neige n’avaient aucune certitude de ne pas échouer sur les écueils rocheux des pics.
Parce que ce n’est que des ormes et des ombres, non pas des hommes et des femmes, qui tombent dans les filets de montagne et de mer, cimetières éclairés à jours par la lubie d’une main-d’œuvre à bon marché. Indifférence requise, éblouissement de mise.
Données sociologiques à la main, dans le quartier en dessous des volets, on bosse plus et on gagne moins. Refrain bien différent de celui qui résonne sur le pavé cleané d’autres arrondissements que je dois traverser pour arriver à ce même bleu horizon qu’on voit à l’envers de l’autre côté de la Méditerranée.
Moi j’y vais par paresse : je pourrais plier le dos et endurcir la corne en ramassant rosettes et jeunes pousses. Au prix de quelques égratignures d’épines de ronce, j’y gagnerait l’odeur de la terre et un combustible gratuit tombé du ciel dans mes feuilles.
Dans une ruelle étroite, au comptoir dépoussiéré par l’engouement d’une nature devenue marchandise d’une vieille officine, j’obtiens ce que je demande, malgré un savoir qui ne se partage mais se vends.
Je rentre, les poumons bien noircis par les fumées d’échappement qui ne peuvent pas s’enfuir des arcades sombres d’un tunnel bruyant. Et je décide de m’infliger moi-même une pollution intérieure et ultérieure.
Penchée à la fenêtre, je guette les pétales éparpillés sur le sol et les confettis de déguisements bien trop binaires qui défilent dans les rues sous les rails.
J’essouffle l’air avec les bribes de papier blanchâtre qui s’envolent jusqu’à que la chaleur incendie les lèvres et transforme un plaisir éphémère en mégot à écraser sans pitié.
Destination le fossé, porté par le bien vouloir d’un inconnu hasard de déterminismes indéterminés à marquer le futur qui flotte dans l’air du printemps.